directed by Rob Rombout | 52′ | 1994 | North Sea
« Certains craquent au bout de quelques mois. D’autres tentent de durer, de perdure et ça finit quand même par craquer un jour ou l’autre. »
In the North Sea today, next to sixty thousand people are living off-shore. On board the F.G. McClintock rig, eighty men and one woman work around the clock in search of Black Gold. In such an enclosed space facing the wild sea, little room is left to express your state of mind.
LEUR MISSION : ABOUTIR, 6 À 8 SEMAINES PLUS TARD, AU JAILLISSEMENT DU PÉTROLE.
Aujourd’hui en Mer du Nord, près de soixante mille personnes vivent « off-shore ». A bord de la plate forme « F.G. McClintock », quatre vingt hommes et femmes travaillent en huis clos, nuit et jour, à la recherche de l’Or noir. Dans cet espace restreint, à la merci des éléments, peu de place est laissé aux états d’âme de chacun. « Nous tournons autour de la plate-forme pendant trente jours d’affilée pour assurer la sécurité de ces hommes. Certains disent que ce doit être ennuyeux… je ne le pense pas. Ce n’est ennuyeux que si on le veut bien. » (Captain Derryck, capitaine du bateau de sauvegarde).
No Mar do Norte, perto de sessenta mil pesssoas vivem em alto mar. No Plataforma F.G. McClintock, oitenta homens e uma mulher enfrentam o mar à procura de petróleo, numa área tão reduzida que é difícil encontrar espaço para cada um expressar o seu estado de espírito.
« Heurtée, bruyante, discontinue, “L’Île noire” est avant tout un geste du travail industriel 24 heures sur 24. Le chaos de vies noires. »
« On ressent fortement cette mise en valeur, assez rare, des gestes du travail humain. »
TEXTE CRITIQUE
HUIS CLOS EN MER DU NORD, par Yvan Le Vaillant
Les plates-formes pétrolières, ce n’est pas l’enfer, pas le paradis non plus. On dit que les gars du pétrole n’ont pas d’états d’âme. Mais si : certains craquent au bout de quelques mois
En mer du Nord, 60 000 personnes vivent offshore, sur des plates-formes donc, à la recherche du pétrole. Et ce soir, on va passer près d’une heure à bord de l’une d’entre elles : la « F.G. Mc Clintock », l’Île noire. Mais attention, ne vous posez pas au début la question de savoir si l’on va – ou non – trouver du pétrole à la fin. Ce n’est pas le propos. On va surtout nous montrer la vie quotidienne, étudier les rapports sociaux spécifiques, sonder les cœurs et les reins. L’Île noire apparaît au large, solitaire, orgueilleuse, et alentour on n’aperçoit que la mer à l’infini. Aujourd’hui, des hélicoptères rouges débarquent la nouvelle équipe : chefs de pont, de chantier, opérateurs, foreurs, manœuvres, électromécaniciens… Quatre-vingt-cinq hommes et une seule femme.
« Le premier jour, quand on revient ici, c’est comme si on n’était jamais parti et la même histoire recommence. » Une plate-forme pétrolière est sans doute la seule industrie où il faut travailler, manger, dormir et vivre, trois semaines d’affilée, 24 heures sur 24, avec toujours les mêmes personnes, dans un espace exigu. C’est un long huis clos marin. La succession des images métalliques, passerelles, ponts, grues, poutrelles, machines, câbles, tuyaux, conteneurs… est ponctuée par une mitraille de confidences, d’entretiens brefs. Et l’on se dit que, sauf erreur, les gars du pétrole semblent vivre dans l’obsession du temps. Ou plutôt de trois temps. D’abord le temps qu’il fait. « Ce boulot, c’est pas de la tarte, avec la pluie, le vent, la neige, la tempête, la grêle… »
La mer du Nord est une des plus dangereuses du monde. Les marins l’ont toujours respectée. Le climat est rude, les tempêtes fréquentes. Parfois l’Île noire subit des vents de 190 km/h. D’ailleurs un bateau de sauvegarde rouge se tient en permanence à proximité pour porter secours à la moindre alerte. Si un homme tombe sans combinaison spéciale, dans ces eaux glacées, il ne peut survivre plus de deux minutes. Quelqu’un parle de cauchemar.
Ensuite le temps qui passe. Ou qui ne passe pas. Trois semaines, c’est long. Le travail est bien payé mais rude. Douze heures d’affilée. Si on n’a pas fini, on prolonge. Forer, trouver du gaz, du pétrole, ramener des données géologiques, ranger, faire de la place pour recevoir le matériel que des bateaux viennent livrer jour et nuit par tous les temps : fuel, nourriture, pièces. Tout cela dans un bruit infernal…
Sur une passerelle, il est impossible d’échapper au bruit. Les loisirs sont limités. Une télé, un ciné, un billard, une salle de gym mais pas d’espaces où se promener. Et puis manger. On y consacre beaucoup de temps. Le chef cuistot est aux petits soins. On prend trois ou quatre repas par jour. Sans compter les pauses de 9 heures à 15 heures. Le mess est ouvert en permanence. Manger, boire, ça vous recharge les batteries. C’est essentiel pour le moral.
Et enfin le temps intérieur. On dit parfois que les gars du pétrole n’ont guère d’états d’âme. Mais si. Certains supportent mal l’éloignement du foyer. Ils parlent avec émotion de leurs enfants : « Quand vous êtes partis travailler, ils rampaient entre vos pieds. Quand vous revenez, trois semaines après, ils galopent à quatre pattes, entre vos jambes. Vous repartez encore et, à votre retour, ils marchent. » Tout se passe pendant l’absence, les absences : au total six mois sur douze. Ce métier n’est pas une vie idéale pour les couples. Certains craquent au bout de quelques mois. D’autres tentent de durer, de perdurer et ça finit quand même par craquer un jour ou l’autre : le taux des divorces, dans le milieu, est, paraît-il, de 90 %. Celui qui l’affirme fait partie des 10 % qui restent mais il s’empresse d’ajouter : « Pour le moment. »
À bord de la passerelle, en revanche, on ne peut pas craquer, s’engueuler, se bagarrer. Ça créerait des tensions, une atmosphère insupportable car on vit les uns sur les autres, on se croise sans arrêt, on ne peut jamais s’isoler. Alors, par la force des choses, il faut tenter de vivre comme une grande famille. Du moins pendant trois semaines. L’Île noire, ce n’est pas l’enfer, pas le paradis non plus. Mais la première chose que disent les gens du pétrole dès qu’ils reviennent à terre, c’est qu’ici tout est délicieusement calme et tranquille.
[Encadré] Ambiance organique
Sur le lieu de forage, chaque geste compte. La caméra a suivi le mouvement.
Certaines séquences sont filmées en noir et blanc et obéissent à un rythme de montage très rapide. L’auteur du film, Rob Rombout, explique : « Sur le lieu de forage, qui fait à peu près 20 mètres carrés, on se trouve dans une ambiance organique, devant une manière très organique de travailler… Si on ne fait pas son boulot, ça retombe sur la tête de l’autre. La caméra participe également à ce mouvement organique, par l’utilisation d’objectifs grand-angles et par des mouvements de caméra brefs et brutaux. Le montage devait respecter l’aspect chaotique que l’on éprouve en tant que spectateur proche. Quant au noir et blanc, cela nous focalise sur les gestes et les visages sans se laisser distraire par les accessoires secondaires. »
On ressent fortement cette mise en valeur, assez rare, des gestes du travail humain.
QUAND LA MER SENT LA BOUE EN MER DU NORD, par Dominique Legrand
À bord de la plate-forme F.G. McClintock, quatre-vingts hommes et une femme travaillent en huis clos, nuit et jour, à la recherche de l’or noir. Leur mine n’est pas de terre ni de grisou mais d’eau salée, de gaz et de boue.
Sur ce terrain de travail et de vie de 20 mètres carrés, le réalisateur amstellodamois Rob Rombout joue le rôle du « troisième homme », celui, qui regarde, écoute, s’interroge, se place là où on ne l’attend pas, et recueille un kaléidoscope de témoignages.
Le premier jour, quand on revient sur la plate-forme, c’est comme si on ne l’avait jamais quittée… et la même histoire recommence : dormir, manger, travailler… La complainte se conjugue par période de trente jours, rythmés d’un coup de téléphone à la famille le dimanche et d’un autre le mercredi. Ou le silence parce que le couple a éclaté, faute de communication, de compréhension, et de présence. Le bruit est partout… on ne peut y échapper. On a constamment l’impression d’être à deux pas de son travail. On s’entend parce qu’il le faut sur une plate-forme off-shore d’extraction du pétrole : c’est la loi du nombre et de la promiscuité. Et si on ne sent pas la mer, que sent-on ? La boue, un mélange de produits chimiques, de terre, d’eau et d’huile. Pour remonter les cœurs, le cuistot du bord s’efforce de faire plaisir à tous. Même chose pour le choix des distractions. Western, porno, foot, karaté, la vidéothèque tourne en rond, comme les hommes qui tuent leurs maigres loisirs en taquinant le poisson. L’eau, toujours l’eau.
Rob Rombout donne une grande place aux états d’âme et aux sentiments dans ce milieu de travail complexe qui se fait habituellement loi de les ignorer, rentabilité du temps oblige.
Son « Île noire » est à regarder entre les lignes : après avoir raconté l’histoire du « Nord Express », et du « Transatlantique », le réalisateur ausculte une autre micro-société dans le monde du travail, après avoir installé un véritable rapport de confiance avec le milieu.
Heurtée, bruyante, discontinue, « L’Île noire » est avant tout un geste du travail industriel 24 heures sur 24. Le chaos de vies noires.
TEXTE EN PDF
« Les plates-formes pétrolières, ce n’est pas l’enfer, pas le paradis non plus. On dit que les gars du pétrole n’ont pas d’états d’âme. Mais si : certains craquent au bout de quelques mois. »
« Et si on ne sent pas la mer, que sent-on ? La boue, un mélange de produits chimiques, de terre, d’eau et d’huile. »
Director Rob Rombout | Script Rob Rombout, and Jean-Philippe Laroche | Director of photography Louis-Philippe Capelle | Assistant camera Jean Van Gut | Sound Philippe Sellier | Editing Adriana Moreira de Oliveira | Sound mixing Jean-François Gosselin | Original music Jean-Louis Daulne | Executive producer Jean-Philippe Laroche | Line procucer Olivier Rausin, and Serge Kestemont | Producer Nota Bene | Co-producers RTBF, Wallonie Image Production (WIP), BRTN Dienst Cultuur, Galatée Films, and Pandora Productions | With the support of the Communauté française de Belgique, and DOCUMENTARY (Programme MEDIA) | In collaboration with Télévision Suisse Romande
Original title L’Île noire | Original language French | Available version(s) |Original French version | Original format video | Format 16/9
Color À VÉRIFIER
9th Namur International Francophone Film Festival (Belgium), 1994 | Flanders International Film Festival, Gand (Belgium), 1995 | Brussels International Film Festival (Belgium), 1995 | Cinéma du Réel, Paris (France), 1995 | Social Film Festival, Charleroi (Belgium), 1995 | Europaïscher Salon Fur Hiebhaber, Tubingen (Germany), 1995 | International “Flaerty” Festival (Russia), 1995 | Filmer à tout prix, Bruxelles (Belgium), 1995 | International Semana of Villadolid (Mexico), 1995 | Semana Internationale de Villadolid (Spain), 1995 | Alternativa 96 Film Festival Of Barcelona (Spain), 1996
« L’eau, toujours l’eau. »
« L’Île noire, ce n’est pas l’enfer, pas le paradis non plus. Mais la première chose que disent les gens du pétrole dès qu’ils reviennent sur terre, c’est qu’ici tout est délicieusement calme et tranquille. »