Parole partagée
dans les doc­u­men­taires filmiques
de Chan­tal Aker­man,
Robert Cahen
et Rob Rombout

par Tiphaine Larroque

Auteur, Tiphaine Lar­roque
Chargée de cours à la Fac­ulté des arts de l’université de Stras­bourg. Elle a été Attachée Tem­po­raire d’Enseignement et de Recherche en his­toire de l’art dans cette même Uni­ver­sité de 2010 à 2012. Dans la con­ti­nu­ité de sa thèse Le Voy­age dans l’art des images en mou­ve­ment de 1965 à nos jours, soutenue en juin 2010, ses recherch­es por­tent sur les gen­res audio­vi­suels du doc­u­men­taire et de la fic­tion, sur les notions d’altérité, d’exotisme, de syn­crétisme ou encore sur le glisse­ment de l’emploi du voy­age comme sujet de l’œuvre vers celui du déplace­ment comme matéri­au. Elle dirige actuelle­ment la pub­li­ca­tion des actes de la journée d’étude « Voy­ages d’artistes à l’époque con­tem­po­raine : con­ti­nu­ités et rup­tures » organ­isée en mai 2011. À paraître : « L’œuvre vidéo­graphique Pre­mier Voy­age (qua­tre jours) de Fran­cis­co Ruiz de Infante ou la mise en doute de la per­cep­tion de l’Autre et de l’Ailleurs », dans Mérid­ion­al­ité et insu­lar­ité. L’invention d’une Europe du Sud XVIIIe-XXe siè­cles, Press­es Uni­ver­si­taires de Strasbourg.

Table des matière 

« Au cours de l’histoire du doc­u­men­taire ciné­matographique, plusieurs posi­tions ont été adop­tées. Celles pro­posées par Chan­tal Aker­man, Robert Cahen et Rob Rom­bout réfu­tent d’une part l’imposition d’un dis­cours sur le réel filmé. »

Le médi­um filmique, de par son procédé tech­nique, pose la ques­tion ontologique de sa con­tiguïté physique avec le réel. Selon François Niney, « le ciné­ma est né doc­u­men­taire, et avant d’être un genre (opposé à la fic­tion), “doc­u­men­taire” désigne une pro­priété de la caméra [1] », « sa capac­ité à cap­tur­er immé­di­ate­ment et repro­duire “la vie sur le vif” [2] ». Ceci étant, la pro­duc­tion d’un doc­u­men­taire filmique implique bien évidem­ment des choix : celui du réel enreg­istré en pre­mier lieu ou encore ceux des pris­es de vue et des durées de l’enregistrement par exem­ple. Aus­si, un par­ti pris relatif à l’appréhension du réel brut et à son organ­i­sa­tion au sein d’un film paraît incon­tourn­able dans le tra­vail du doc­u­men­tariste. Ce par­ti pris ini­tial déter­mine en aval la rela­tion qui s’établit à tra­vers le film entre le réel et les spec­ta­teurs. Au cours de l’histoire du doc­u­men­taire ciné­matographique, plusieurs posi­tions ont été adop­tées. Celles pro­posées par Chan­tal Aker­man, Robert Cahen et Rob Rom­bout réfu­tent d’une part l’imposition d’un dis­cours sur le réel filmé et, d’autre part, la suff­i­sance du car­ac­tère d’indice [3] de l’image analogique à l’endroit du réel. Pour Sud (1999) et De l’autre côté (2002) de Chan­tal Aker­man [4] ain­si que pour Can­ton la Chi­noise (2001) de Robert Cahen [5] et Rob Rom­bout [6], le par­ti pris con­siste à partager la respon­s­abil­ité de la sig­ni­fi­ca­tion du réel trans­mise aux spec­ta­teurs avec des per­son­nes con­cernées par le sujet de leurs films. Pour ce faire, les dis­cours ver­baux des trois doc­u­men­taires sont con­sti­tués dans leur total­ité des témoignages des indi­vidus filmés. Deux excep­tions cepen­dant doivent être relevées dans le cas du film De l’autre côté de Chan­tal Aker­man. Quelques cour­tes ques­tions for­mulées par la réal­isatrice ou par l’une des per­son­nes de son équipe sont mon­tées dans la bande-son et le des­tin d’une immi­grée clan­des­tine aux États-Unis est rap­porté en voix off par Chan­tal Aker­man elle-même. Nonob­stant ces inter­ven­tions ver­bales de la réal­isatrice, celles-ci ne s’instaurent pas en con­nais­sance dom­i­nante, ne syn­thé­tisent pas la réal­ité con­sid­érée et ne l’interprètent pas non plus comme cela est bien sou­vent le cas des com­men­taires off usités dans les doc­u­men­taires his­toriques. Dif­férem­ment, les ques­tions enten­dues fonc­tion­nent comme des inci­ta­tions au développe­ment de la parole de l’autre et l’histoire nar­rée en voix off, elle, rap­pelle la valeur uni­verselle con­tenue dans les témoignages sin­guliers et con­tin­gents. Aus­si dans De l’autre côté et dans les deux autres doc­u­men­taires con­sid­érés, les pro­pos des per­son­nes inter­viewées ten­dent à devenir des instances de dis­cours au même titre que les réal­isa­teurs. Ce choix adop­té par Chan­tal Aker­man, Robert Cahen et Rob Rom­bout implique que leurs paroles d’auteur soient com­mu­niquées par­al­lèle­ment au dis­cours ver­bal pris en charge par des tiers. Les trois réal­isa­teurs pos­sè­dent alors unique­ment le fil­mage et le mon­tage des images et des sons, c’est-à-dire la con­struc­tion d’une tem­po­ral­ité à par­tir de frag­ments de réal­ité visuels et sonores, pour trans­met­tre leurs visions du réel via leurs doc­u­men­taires. Déléguant la force de con­vic­tion que pos­sède le dis­cours ver­bal, ils expéri­mentent ain­si la tran­scrip­tion du réel au moyen de con­struc­tions filmiques fondées sur la recherche d’une équité entre les deux par­ties engagées dans la réal­i­sa­tion des films doc­u­men­taires, à savoir les réal­isa­teurs eux-mêmes et les per­son­nes filmées. Ils met­tent à l’épreuve leur rôle de doc­u­men­tariste en déplaçant leur fonc­tion au sein du proces­sus de réal­i­sa­tion et pro­posent par là même des modes sin­guliers de trans­mis­sion de la réal­ité ou, pour le for­muler dif­férem­ment, ils instau­rent des pactes référen­tiels implicites par­ti­c­uliers avec les spectateurs.

« L’observation des démarch­es doc­u­men­taires de Chan­tal Aker­man, Robert Cahen et Rob Rom­bout vise à met­tre en évi­dence les façons dont ils appréhen­dent le réel des­tiné à être trans­mis aux spec­ta­teurs au moyen d’un film. »

L’observation des démarch­es doc­u­men­taires de Chan­tal Aker­man, Robert Cahen et Rob Rom­bout vise à met­tre en évi­dence les façons dont ils appréhen­dent le réel des­tiné à être trans­mis aux spec­ta­teurs au moyen d’un film. Elle donne l’occasion d’émettre les pre­mières déduc­tions rel­a­tives aux modes de récep­tion du réel par l’intermédiaire de cha­cun des doc­u­men­taires con­sid­érés. Les con­textes de réal­i­sa­tion étant posés, les fonc­tions pris­es en charge par les réal­isa­teurs et les per­son­nes filmés au sein des dif­férents dis­posi­tifs filmiques ain­si que la nature de la liai­son instau­rée par exten­sion entre la réal­ité filmée et les spec­ta­teurs peu­vent être pré­cisées notam­ment au moyen de l’examen des rap­ports étab­lis entre les images, les témoignages oraux et les sons. En dernier lieu et en guise de con­clu­sion, ces réflex­ions per­me­t­tent d’envisager la pos­si­bil­ité du film doc­u­men­taire comme espace de ren­con­tre entre deux lieux éloignés géo­graphique­ment, entre deux cul­tures ou sit­u­a­tions sociales dif­férentes : celle du réel filmé et celle du pub­lic européen.

Extrait de Can­ton la Chi­noise, par Robert Cahen et Rob Rom­bout, 2001

« L’interrogation pre­mière soulevée (…) par exten­sion par l’image en mou­ve­ment aux visées doc­u­men­taires, est celle de son rap­port à la réal­ité. Aus­si, un par­ti pris, quant à la con­cep­tion de la réal­ité, paraît incon­tourn­able dans le tra­vail du doc­u­men­tariste. Il déter­mine la rela­tion qui s’établit à tra­vers le film entre les images et le réel, autant pour le réal­isa­teur que pour les spectateurs. »

Démarches documentaires : réalités choisies

L’interrogation pre­mière soulevée par l’image pho­tographique, et par exten­sion par l’image en mou­ve­ment aux visées doc­u­men­taires, est celle de son rap­port à la réal­ité. Aus­si, un par­ti pris, quant à la con­cep­tion de la réal­ité, paraît incon­tourn­able dans le tra­vail du doc­u­men­tariste. Il déter­mine la rela­tion qui s’établit à tra­vers le film entre les images et le réel, autant pour le réal­isa­teur que pour les spec­ta­teurs. Au cours de l’histoire du doc­u­men­taire, plusieurs solu­tions ont été adop­tées. Celle pro­posée par Rob Rom­bout réfute, à la suite de Bertholt Brecht, la suff­i­sance du car­ac­tère indi­ci­aire [1] de l’image pho­tographique, et donc filmique, vis-à-vis du réel c’est-à-dire la qua­si équiv­a­lence de l’objet avec sa repro­duc­tion en image. En revanche, elle prend en compte l’altération de la réal­ité engen­drée par la vision du doc­u­men­tariste. Cette dernière est ren­due per­cep­ti­ble au sein des films. La méth­ode doc­u­men­taire de Rob Rom­bout se fonde sur l’opération de la con­struc­tion filmique entre­prise dès le pro­jet de film jusqu’au mon­tage. Elle com­bine une grande maîtrise des fac­teurs aléa­toires du réel, qui peut être affil­iée aux créa­tions de fic­tions, et un respect des pro­priétés du sujet traité rel­e­vant de l’entreprise doc­u­men­taire et ce, afin de don­ner à voir une réal­ité. Celle-ci naît ain­si des rap­ports com­plex­es entre le réal­isa­teur, le proces­sus de réal­i­sa­tion, les per­son­nes filmées et leur environnement.

L’éthique des doc­u­men­taires selon laque­lle le film doit ren­dre compte du réel néces­site des pré­cau­tions spé­ci­fiques. Si Chan­tal Aker­man, Robert Cahen et Rob Rom­bout assu­ment la part de con­struc­tion inhérente à tout doc­u­men­taire, ils n’adoptent pas la même atti­tude vis-à-vis de la réal­ité qu’ils se pro­posent de trans­met­tre au moyen du médi­um filmique.

Extrait de Can­ton la Chi­noise, par Robert Cahen et Rob Rom­bout, 2001

La démarche intuitive de Chantal Akerman

Chan­tal Aker­man se met en con­di­tion d’écoute de l’autre et des lieux, atti­tude qu’elle qual­i­fie de « flot­tante ». Sa stratégie est de « se laisse[r] imprégn­er [7] » par les per­son­nes ren­con­trées et les sites vis­ités. Ce mode d’investigation ne per­met donc pas l’écriture préal­able des doc­u­men­taires. À la dif­férence de la plu­part de ses films de fic­tion pour lesquels la cinéaste passe par des écrits en prose de type lit­téraire avant l’étape de la rédac­tion des scé­narii [8], pour ses doc­u­men­taires, celle-ci part d’une idée vague puis établit un pro­jet, sou­vent pour les besoins des sub­ven­tions. Cette démarche favorise les glisse­ments des sujets, la non-adéqua­tion entre le pro­jet d’origine et le résul­tat filmique. Dans le cas du film Sud [9], l’intérêt de Chan­tal Aker­man pour le Sud des États-Unis est né de la lec­ture des romans de James Bald­win et William Faulkn­er. Ain­si dis­posée, la cinéaste a pris con­nais­sance d’un drame qui s’est pro­duit à Jasper, petite ville du Texas : le lyn­chage d’un homme noir, James Byrd J.-R., par trois extrémistes blancs. Elle a alors décidé de se ren­dre sur place pour recueil­lir les paroles des proches, des témoins et d’habitants de Jasper. Elle voulait aller voir là-bas ce qui s’est passé, voir si le paysage garde des traces de l’horreur, si le cli­mat porte encore les stig­mates du meurtre raciste. Aus­si, le sujet de Sud s’est cen­tré plus pré­cisé­ment sur la mémoire de la mise à mort d’un homme noir. Ce resser­re­ment du pro­pos du doc­u­men­taire n’a toute­fois pas empêché la cinéaste de ren­dre sen­si­ble l’atmosphère par­ti­c­ulière de la petite ville du Texas, de met­tre en évi­dence sa topogra­phie (fig. 1) ou encore les sit­u­a­tions poli­tique et sociale des habi­tants. Pour sa part, De l’autre côté [10] a été motivé par le choc dû à la lec­ture d’un arti­cle paru dans Libéra­tion qui rap­por­tait l’organisation hors la loi de chas­s­es aux immi­grés clan­des­tins par des pro­prié­taires de ranch en Ari­zona. Finale­ment, le doc­u­men­taire s’attache à décrire de façon plus générale le phénomène d’immigration du Mex­ique vers les États-Unis. Les tour­nures que pren­nent les deux doc­u­men­taires dépen­dent donc des con­tin­gences de la ren­con­tre de Chan­tal Aker­man avec le réel con­sid­éré. La cinéaste a énon­cé en 1975 la méth­ode de réal­i­sa­tion mise en œuvre pour son film de fic­tion Jeanne Diel­man 23, quai du Com­merce, 1080 Brux­elles, méth­ode qui sem­ble être appliquée plus de vingt ans après à la réal­i­sa­tion de ses doc­u­men­taires. Elle a expliqué suiv­re la tra­jec­toire opposée à celle employée dans les films poli­tiques. Ces derniers par­ti­raient, selon elle, du squelette, c’est-à-dire de l’idée, pour ensuite le cou­vrir de chair, c’est-à-dire du matéri­au visuel et sonore. Alors que la cinéaste, elle, recueille d’abord la chair et le squelette appa­raît en sec­ond lieu [11]. En out­re, les con­struc­tions des films Sud et De l’autre côté opèrent la coïn­ci­dence entre l’appréhension du réel de Chan­tal Aker­man et l’approche qui en est pro­posée aux spec­ta­teurs. Les longs plans-séquences favorisent effec­tive­ment une récep­tion des images et des sons sim­i­laire à l’attitude de l’imprégnation adop­tée par la cinéaste sur les lieux de tour­nage dans le but de rassem­bler la chair de ses doc­u­men­taires. Ils lais­sent le temps aux spec­ta­teurs d’observer, de con­tem­pler, de ressen­tir et de penser ou encore de relever la récur­rence de sen­ti­ments fugaces c’est-à-dire de « se laiss­er faire par­fois par des impres­sions fugi­tives, mais qui se répè­tent [12] ». Dans Sud par exem­ple, les nom­breux trav­el­lings don­nent un aperçu général et en sur­face du quarti­er de Birm­ing­ham comme si la caméra imi­tait l’œil d’un voyageur étranger à la ville alors que les plans fix­es situés à une dis­tance moyenne vis-à-vis des motifs filmés soulig­nent le point de vue extérieur à la vie du site. Chan­tal Aker­man con­firme cet effet de l’alternance de trav­el­lings et de plans fix­es : « Comme je vais sou­vent dans des pays étrangers, je pense que c’est aus­si l’œil de l’étranger qui passe et qui s’arrête de temps en temps [13]. » Cette démarche doc­u­men­taire qui intè­gre les impres­sions sus­citées par la réal­ité du ter­rain et les cir­con­stances de l’enquête au niveau de la con­cep­tion même du pro­jet s’oppose à la méth­ode de Rob Rombout.

Extrait de Can­ton la Chi­noise, par Robert Cahen et Rob Rom­bout, 2001

L’orchestration de divers points de vue par Robert Cahen et Rob Rombout

Pour ses doc­u­men­taires en général et pour Can­ton la Chi­noise [14] réal­isé en col­lab­o­ra­tion avec Robert Cahen, Rob Rom­bout opte pour une écri­t­ure du doc­u­men­taire en amont de la réal­i­sa­tion. Ain­si, la recherche théorique et l’écriture pré­para­toire, exigées par le sys­tème de pro­duc­tion et de dif­fu­sion des films, trou­vent une place struc­turelle dans la méth­ode doc­u­men­taire. Rob Rom­bout éla­bore tout d’abord une sorte de scé­nario imag­i­naire qui est par la suite con­fron­té à la réal­ité. Il s’agit alors de trou­ver un équili­bre entre la théorie et l’expérience empirique. Comme pour les films de fic­tion, un cast­ing est réal­isé. Les choix sont déter­minés en fonc­tion du scé­nario et dans l’optique de con­stituer un échan­til­lon cohérent d’individus, pour employ­er un terme de soci­olo­gie. Celui-ci doit être représen­tatif à la fois de la sit­u­a­tion du ter­rain et de la théorie. Selon le doc­u­men­tariste, la con­struc­tion n’est pas con­tra­dic­toire du hasard. Il explique tra­vailler sur un oxy­more, celui de « prévoir l’imprévisible [15] ». En out­re, Rob Rom­bout revendique le tra­vail de mise en scène qui est d’ailleurs ren­du per­cep­ti­ble dans Can­ton la Chi­noise, au moyen de la mul­ti­pli­ca­tion des inter­mé­di­aires entre la réal­ité filmée et les spec­ta­teurs tant au niveau du fond qu’à celui de la forme.

« Rob Rom­bout revendique le tra­vail de mise en scène qui est d’ailleurs ren­du per­cep­ti­ble dans Can­ton la Chi­noise, au moyen de la mul­ti­pli­ca­tion des inter­mé­di­aires entre la réal­ité filmée et les spec­ta­teurs tant au niveau du fond qu’à celui de la forme. »

Sur le plan du con­tenu, à la présen­ta­tion de la ville de Can­ton qui s’effectue par le biais des pro­pos et des vies de cinq de ses habi­tants que les doc­u­men­taristes appel­lent « les passeurs du film [16] », s’ajoutent la vision et les ressen­tis de Robert Cahen et Rob Rom­bout. Ces derniers com­mu­niquent leur point de vue à l’aide du fil­mage, de la mise en scène et du mon­tage. Par exem­ple, les per­pétuelles trans­for­ma­tions de la ville et son activ­ité foi­son­nante dont les réal­isa­teurs souhait­ent témoign­er sont soulignées au moyen de la com­plex­i­fi­ca­tion des angles de vue, de l’amplification de la sen­sa­tion de mou­ve­ment et de l’éclatement des images grâce à des jeux de reflets ou de miroirs (fig. 2). Con­join­te­ment à cette élab­o­ra­tion visuelle sig­nifi­ante, les deux réal­isa­teurs orchestrent les points de vue des cinq per­son­nal­ités choisies, à qui ils ont cédé la total­ité du dis­cours ver­bal. Toute­fois, il ne s’agit pas pour eux d’instrumentaliser les indi­vidus filmés et encore moins de déna­tur­er leurs paroles. Aus­si, les réal­isa­teurs ont ten­té d’instaurer un rap­port de com­préhen­sion mutuelle avec eux. À cette même fin, ils ont con­sti­tué un groupe de témoins con­scients de leur sit­u­a­tion et de leur fonc­tion au sein du documentaire.

« Il ne s’agit pas pour Robert Cahen et Rob Rom­bout d’instrumentaliser les indi­vidus filmés et encore moins de déna­tur­er leurs paroles. »

Au niveau de la forme, la plu­ral­ité des inter­mé­di­aires qui présen­tent Can­ton à l’audience est visu­al­isée au moyen de la récur­rence des objets qui s’interposent entre l’objectif de la caméra et les per­son­nes filmées (fig. 3). Dans une même logique, la plas­tic­ité des images, l’esthétique des cadrages ou encore la com­po­si­tion du réel à la façon de tableaux rap­pel­lent con­stam­ment aux spec­ta­teurs qu’ils sont en train d’appréhender Can­ton par l’intermédiaire d’une con­struc­tion filmique et donc d’un dis­cours visuel et sonore. La démarche doc­u­men­taire qui con­siste à dégager du sens à par­tir du réel au moyen de l’écriture préal­able et de la sélec­tion des per­son­nes inter­viewées mise en œuvre par Robert Cahen et Rob Rom­bout tout comme la méth­ode de l’imprégnation des sites et des ren­con­tres adop­tée par Chan­tal Aker­man induisent l’attribution de places et de fonc­tions par­ti­c­ulières aux indi­vidus filmés et aux réal­isa­teurs mais aus­si, en aval, elles instau­rent des rela­tions sin­gulières avec les spectateurs.

Extrait de Can­ton la Chi­noise, par Robert Cahen et Rob Rom­bout, 2001

Parole partagée : les témoins et les documentaristes

Fonder un doc­u­men­taire sur le mon­tage de témoignages recueil­lis n’est pas évi­dent car la parole, « don­nant sens aux images », est un « médi­a­teur du savoir [17] ». Ain­si, le dis­cours ver­bal con­stitue un moyen effi­cace pour pro­pos­er des sig­ni­fi­ca­tions ou des expli­ca­tions à l’ambiguïté du réel et à la poly­sémie des images et des sons cap­tés sur le vif. L’œuvre filmique de Jean Rouch, réputée pour avoir don­né la parole à l’autre dès les années cinquante et tout par­ti­c­ulière­ment aux eth­nies Dogons et Bam­baras d’Afrique de l’ouest, a affron­té, par con­séquent, le prob­lème des rap­ports entre la parole et les images auquel Chan­tal Aker­man, Robert Cahen et Rob Rom­bout se sont égale­ment con­fron­tés. Dans le cas de Jean Rouch, au début des années soix­ante, alors que la tech­nique des caméras per­me­t­tait d’enregistrer les sons syn­chrones aux images [18], le cinéaste a choisi de con­serv­er dans la plu­part de ses doc­u­men­taires les com­men­taires écrits et énon­cés en voix off par lui-même [19]. Lors d’un entre­tien avec Colette Piault, il a argu­men­té que les com­men­taires per­me­t­tent de trans­met­tre une réal­ité plus com­plète, de révéler la « parole inter­dite [20] » déce­lable notam­ment à tra­vers cer­tains gestes mais aus­si par le biais des flot­te­ments de sens dans l’exercice de tra­duc­tion. Selon Jean Rouch, ces non-dits et ces impré­ci­sions lin­guis­tiques néces­si­tent une expli­ca­tion pour être com­pris car les dis­cours directs des per­son­nes filmées seraient insuff­isants pour trans­met­tre la réal­ité africaine aux Européens. Aus­si, « la parole inter­dite » sem­ble pou­voir être définie briève­ment comme une réal­ité non com­préhen­si­ble par les spec­ta­teurs en tant que groupe étranger à la réal­ité filmée.

Une autre solu­tion pos­si­ble pour atténuer – voire pour con­tourn­er – ce prob­lème de la tra­duc­tion cul­turelle ou, plus mod­este­ment, la dif­fi­culté de com­pren­dre une réal­ité peu famil­ière, est de met­tre en évi­dence et d’insister sur les liens qui relient les sit­u­a­tions filmées et celle du pub­lic visé. La présence de ces liens peut être repérée dans les doc­u­men­taires Can­ton la Chi­noise, Sud et De l’autre côté.

Extrait de Can­ton la Chi­noise, par Robert Cahen et Rob Rom­bout, 2001

« Pour leur part, Robert Cahen et Rob Rom­bout ont choisi d’instaurer une dis­tance entre les images et les paroles grâce à l’utilisation d’interviews off c’est-à-dire d’entretiens durant lesquels seul le son est enreg­istré puis ajouté à des séquences cap­tées à un autre moment du tournage. »

Questionner l’entreprise documentaire dans Canton la Chinoise

Comme dans les deux doc­u­men­taires de Chan­tal Aker­man, le com­men­taire extérieur, générale­ment enten­du en voix off, qui s’impose comme déten­teur de la con­nais­sance et/ou comme instruc­teur, est absent dans Can­ton la Chi­noise de Robert Cahen et Rob Rom­bout. Pour ce faire, Chan­tal Aker­man sup­prime les dis­cours en voix off au prof­it de l’enregistrement syn­chrone. Dans ce cas, le temps de référence des images et celui de l’élocution sont les mêmes : les paroles des inter­viewés sont filmées en train de se dire. Pour leur part, Robert Cahen et Rob Rom­bout ont choisi d’instaurer une dis­tance entre les images et les paroles grâce à l’utilisation d’interviews off c’est-à-dire d’entretiens durant lesquels seul le son est enreg­istré puis ajouté à des séquences cap­tées à un autre moment du tour­nage. Dans ce cas de fig­ure, le temps du dis­cours dif­fère de celui des images et des sons ambiants. Ce procédé s’apparente à une des solu­tions adop­tées par Jean Rouch pour Moi, un noir (1958) et Jaguar (tourné en 1954 et mon­té en 1967) dans lesquels les pro­tag­o­nistes nigériens par­lent français. Dans Can­ton la Chi­noise, l’inadéquation tem­porelle entre d’une part les pro­pos des per­son­nes enten­dues en voix off et d’autre part les images pris­es en charge par les réal­isa­teurs con­cré­tise la présence de la médi­a­tion filmique entre Can­ton (ce qui est mon­tré) et les spec­ta­teurs (ceux qui regar­dent). L’idée n’est pas de mon­tr­er le réel brut, tel qu’il exis­terait indépen­dam­ment de ses con­tacts avec les réal­isa­teurs et avec le proces­sus de réal­i­sa­tion, mais de com­mu­ni­quer une réal­ité déter­minée par la vision des doc­u­men­taristes et par l’entreprise doc­u­men­taire. Autrement dit, la réal­ité présen­tée n’existe pas par elle-même mais elle résulte des échanges con­stants « entre les choses qui sont et celui pour qui elles sont [21] ».

« Robert Cahen et Rob Rom­bout ont porté une atten­tion par­ti­c­ulière aux gestes et aux silences des per­son­nes filmées qui peu­vent met­tre en évi­dence des non-dits, des sous-enten­dus ou, en quelque sorte, la parole inter­dite. »

Dans son Essai sur la sig­ni­fi­ca­tion au ciné­ma, Chris­t­ian Metz dégage de la Phénoménolo­gie l’idée selon laque­lle : « Le “il y a”, puisqu’il implique qu’il y ait quelque chose et qu’il y ait quelqu’un pour qui il y a quelque chose, mobilise à lui seul l’objet filmé et le fil­mage [22]. » C’est pourquoi Robert Cahen et Rob Rom­bout, con­scients que les per­son­nes inter­viewées jouent un rôle pour le film et notam­ment face à une caméra, ont d’abord invité les per­son­nes à par­ler sans caméra et sans micro et ils ont porté une atten­tion par­ti­c­ulière aux gestes et aux silences des per­son­nes filmées qui peu­vent met­tre en évi­dence des non-dits, des sous-enten­dus ou, en quelque sorte, la parole inter­dite. Dans Can­ton la Chi­noise, la présence des réal­isa­teurs fait « par­tie du paysage [23] » (pour repren­dre une expres­sion de Rob Rom­bout), c’est-à-dire qu’elle est con­sid­érée comme influ­ente sur l’aspect de la ville de Can­ton car­ac­térisée par sa plu­ral­ité et abor­dée dans sa rel­a­tiv­ité. En cela, la démarche doc­u­men­taire de Robert Cahen et Rob Rom­bout témoigne de préoc­cu­pa­tions for­mulées comme suit par le réal­isa­teur et cri­tique du ciné­ma Jean Breschand :

Le réel n’est pas posé devant le caméra comme une scène devant un spec­ta­teur. […] Désor­mais, le film est la trace d’une ren­con­tre, avec une sit­u­a­tion qui est pour ain­si dire, « pré­cip­itée » par le tour­nage. […] Il est clair, en même temps, que le réel ne se donne pas dans son immé­di­ateté, mais qu’il est insé­para­ble du mode par lequel on s’en saisit. C’est pourquoi les cinéastes intè­grent dans leurs films le dis­posi­tif de leur tour­nage, c’est-à-dire situent leur place. Le film devient explicite­ment un mode d’intervention sur le réel lui-même [24].

Cette con­cep­tion du doc­u­men­taire per­cep­ti­ble dans Can­ton la Chi­noise, notam­ment au moyen du décalage tem­porel entre les images et les paroles, per­met aux spec­ta­teurs du film de Robert Cahen et Rob Rom­bout de ne pas se vouer à un seul dis­cours, comme il est fréquent dans l’histoire du doc­u­men­taire et de ne pas s’oublier dans une nar­ra­tion, comme il est d’usage dans les films de fic­tion dits « clas­siques ». Cepen­dant, les deux domaines dis­tincts (images et com­men­taires) con­ver­gent vers un même motif, à savoir la ville de Canton.

« Can­ton la Chi­noise livre un point de vue dis­tancé sur la ville tant au niveau des images (éloigne­ment de la caméra par rap­port aux motifs, per­son­nes filmées en con­tre-jour ou de dos, nom­breux trav­el­lings pou­vant évo­quer le point de vue d’un voyageur) que sur le plan du dis­cours (s’en remet­tre à des per­son­nes qui vivent à Can­ton, jux­ta­po­si­tion d’avis divergents). »

Cette con­cep­tion du doc­u­men­taire per­cep­ti­ble dans Can­ton la Chi­noise, notam­ment au moyen du décalage tem­porel entre les Pour l’ensemble de ses doc­u­men­taires, et cela a été appliqué lors de la réal­i­sa­tion de Can­ton la Chi­noise, Rob Rom­bout inter­viewe de préférence des per­son­nes qui lui ressem­blent afin de favoris­er la com­préhen­sion mutuelle entre les réal­isa­teurs occi­den­taux et les cinq Can­ton­ais impliqués dans le doc­u­men­taire ; cette affinité devant, dans un sec­ond temps, favoris­er les cor­re­spon­dances de pen­sée entre les per­son­nes filmées et le pub­lic visé. Robert Cahen et Rob Rom­bout ont choisi cinq habi­tants de Can­ton au sein d’un plus grand nom­bre d’individus ren­con­trés. Leur choix s’est porté sur les per­son­nes famil­ières à la fois des cul­tures can­ton­aise et française : Chris­t­ian Mér­er est diplo­mate français à Can­ton ; l’écrivain, édi­teur et libraire Chen Tong affec­tionne tout par­ti­c­ulière­ment la lit­téra­ture française ; la can­ton­aise Chi­an Tsi (Carine) étudie le français ; l’artiste Lin Yi Lin et le pho­tographe Zhang Haier tra­vail­lent non pas dans une optique tra­di­tion­nelle chi­noise mais en inté­grant l’influence occi­den­tale. Par là même, Robert Cahen et Rob Rom­bout ont ain­si créé un groupe qui reflète en quelque sorte leur posi­tion inter­mé­di­aire en tant que réal­isa­teurs occi­den­taux tra­vail­lant à un doc­u­men­taire sur Can­ton. En out­re, les cinq « passeurs du film » livrent des infor­ma­tions qui don­nent ain­si, aux doc­u­men­taristes, un accès à la vie can­ton­aise. En cela, ils trou­vent une fonc­tion sem­blable à celle des réal­isa­teurs eux-mêmes dont l’objectif est pré­cisé­ment de trans­met­tre des ren­seigne­ments sur Can­ton à un pub­lic le plus sou­vent étranger à la ville. À côté de ce rôle attribué aux indi­vidus filmés, le diplo­mate Chris­t­ian Mér­er a accédé à une place clé au sein de la con­struc­tion filmique. La déci­sion a été prise suite à un pre­mier tour­nage effec­tué par Robert Cahen et plus pré­cisé­ment au moment de l’élaboration du scé­nario. Sa fonc­tion d’Attaché aux Affaires Étrangères, qui engage un tra­vail de médi­a­teur et de représen­tant, ren­force la con­cor­dance de sa posi­tion à l’égard de Can­ton avec celle des réal­isa­teurs. En effet, ni touriste ni Can­ton­ais, Chris­t­ian Mér­er vit dans cette ville pour son tra­vail et donne son point de vue de semi étranger sur la ville. Sim­i­laire­ment, Can­ton la Chi­noise livre un point de vue dis­tancé sur la ville tant au niveau des images (éloigne­ment de la caméra par rap­port aux motifs, per­son­nes filmées en con­tre-jour ou de dos, nom­breux trav­el­lings pou­vant évo­quer le point de vue d’un voyageur) que sur le plan du dis­cours (s’en remet­tre à des per­son­nes qui vivent à Can­ton, jux­ta­po­si­tion d’avis divergents).

En out­re, cer­tains pro­pos de Chris­t­ian Mér­er sem­blent relay­er les ques­tion­nements de Robert Cahen et Rob Rom­bout relat­ifs à leur démarche de doc­u­men­tariste. Par exem­ple, Chris­t­ian Mér­er pense que l’art peut influer sur la façon d’appréhender le monde mais que ce qui est vu dans les pho­togra­phies ou les films n’est jamais ce qui est perçu au moment où on les réalise et donc, lorsque l’on se trou­ve dans le lieu qui est repro­duit en image. Cette idée peut être enten­due comme une indi­ca­tion à l’attention des spec­ta­teurs. En regar­dant le doc­u­men­taire, ces derniers sont ain­si aver­tis du décalage entre les images en mou­ve­ment et la réal­ité de Can­ton. La réflex­ion de Chris­t­ian Mér­er sur les pho­togra­phies et les films intro­duit dans le doc­u­men­taire de Robert Cahen et Rob Rom­bout la ques­tion de l’acte de pro­duire des images ain­si que son impact sur les indi­vidus et la société. Le film est ain­si ques­tion­né intrin­sèque­ment ou, for­mulé dif­férem­ment, il se met en ques­tion par lui-même. Il révèle son ambiguïté et sa ten­dance à la poly­sémie en sug­gérant que lui aus­si, comme toutes les images, n’est pas l’équivalent de la réal­ité. L’hypothèse selon laque­lle Chris­t­ian Mér­er relaierait la parole des réal­isa­teurs cor­re­spond à la démarche de Rob Rom­bout qui explique que, dans tous ses films, il fait pass­er à tra­vers les autres une idée qui lui est pro­pre. Dans cette per­spec­tive, Can­ton la Chi­noise sem­ble répon­dre à la déf­i­ni­tion du doc­u­men­taire don­née par Andrey Osipov [25] dans un autre film de Rob Rom­bout inti­t­ulé Perm-mis­sion (1999) :

Le film doc­u­men­taire ne se con­tente pas d’illustrer et de con­stater des faits. Il tente d’analyser et d’approfondir les choses sur le plan artis­tique pour com­pren­dre ce qui se passe dans le temps présent et les liens entre le passé et l’avenir.

Dans Can­ton la Chi­noise, les inter­ro­ga­tions sur l’entreprise doc­u­men­taire de Robert Cahen et Rob Rom­bout transparais­sent à tra­vers les points de vue des cinq habi­tants de Can­ton qui leur per­me­t­tent d’appréhender la réal­ité chi­noise. Cette pen­sée réflex­ive des doc­u­men­taristes tend à se réper­cuter chez les spec­ta­teurs eux aus­si exposés à une approche indi­recte de la ville chi­noise. Ain­si, ce dont il est ques­tion dans le film résonne avec la con­di­tion du public.

Extrait de Can­ton la Chi­noise, par Robert Cahen et Rob Rom­bout, 2001

« Le doc­u­men­taire ne repro­duit pas du “Réel”, il pro­duit de la pensée. »

Pierre Baudry, 1992

Modération du discours dans Sud et De l’autre côté

Dans une logique sim­i­laire, l’intention de Chan­tal Aker­man d’attacher une sit­u­a­tion ou un fait divers inscrit dans un con­texte pré­cis au prob­lème uni­versel du racisme peut fonc­tion­ner comme un rap­proche­ment entre la réal­ité filmée et celle des spec­ta­teurs du doc­u­men­taire. L’histoire de la vie d’une clan­des­tine mex­i­caine aux États-Unis énon­cée en voix off à la fin du film De l’autre côté par exem­ple opère le pas­sage du dis­cours direct des témoignages des habi­tants frontal­iers vers celui, indi­rect, de la nar­ra­tion [26]. Ce change­ment de mode du dis­cours fait bas­culer le cas du racisme des Améri­cains à l’égard des Mex­i­cains dans le domaine de l’Histoire ain­si que dans l’universalité de la con­di­tion humaine. De même, la musique peut élargir le con­texte dans lequel s’inscrivent les scènes filmées à une dimen­sion mon­di­al­isée. Cela est le cas par exem­ple lorsqu’un morceau, Duo Seraphim de Mon­tever­di, joué par Sonia Wei­der-Ather­ton accom­pa­gne le témoignage d’un jeune Mex­i­cain et, à un autre moment, la marche d’un polici­er sur­veil­lant la fron­tière de nuit. La musique qui n’entretient de lien immé­di­at ni avec le Mex­ique ni avec les États-Unis tend à décon­tex­tu­alis­er les scènes filmées : ce qui est vu pour­rait très bien se pass­er ailleurs. L’intention de Chan­tal Aker­man de ren­voy­er à l’universel peut fonc­tion­ner comme un rap­proche­ment entre la réal­ité des per­son­nes filmées et celle du pub­lic. Ce par­ti pris vise aus­si à « éviter tout sys­tème binaire [27] ». En effet, si les pro­pos des Améri­cains sont décon­cer­tants par leurs car­ac­tères irraison­nés et vio­lents, ils peu­vent égale­ment éton­ner par la sincérité de leur peur de l’autre. Cer­tains, comme le shérif, sem­blent d’ailleurs être capa­bles de com­pren­dre les moti­va­tions des immi­grés. De la sorte, les doc­u­men­taires de Chan­tal Aker­man con­stituent des témoignages de la com­plex­ité du réel en tant que matière fluc­tu­ante sous l’action déci­sive du point de vue à par­tir duquel il est envis­agé. Dans cette per­spec­tive, ils répon­dent autant à la courte déf­i­ni­tion du genre doc­u­men­taire pro­posée par le théoricien du ciné­ma Pierre Baudry en 1992 qu’à la qual­ité du réel relevée en 2001 par le philosophe Jacques Ran­cière. Le pre­mier explique : « Le doc­u­men­taire ne repro­duit pas du “Réel”, il pro­duit de la pen­sée. [28] » Le sec­ond affirme que « le réel n’est pas pour [le doc­u­men­taire] un effet à pro­duire. Il est un don­né à com­pren­dre [29] ».

« Le réel n’est pas pour [le doc­u­men­taire] un effet à pro­duire. Il est un don­né à comprendre. »

Jacques Ran­cière, 2001

Cepen­dant, la mise en évi­dence de la dimen­sion uni­verselle de la haine de l’autre qui tend à éviter le manichéisme con­stitue aus­si un risque : celui d’une mau­vaise inter­pré­ta­tion des doc­u­men­taires de Chan­tal Aker­man. Le refus de juger et d’adopter un par­ti pris clair de la part de la cinéaste peut con­forter les racistes dans leur croy­ance absurde. A l’inverse, le doc­u­men­taire peut aus­si « col­porter cette image [de l’anti-américanisme stéréo­typé] de pro­tec­tion­nisme et de para­noïa [30] ». À not­er que cette ques­tion est moins sen­si­ble dans le doc­u­men­taire de Robert Cahen et Rob Rom­bout car il s’attache à un sujet qui ne s’inscrit pas dans une dimen­sion poli­tique forte ou dans une actu­al­ité brûlante. Dans le film De l’autre côté de Chan­tal Aker­man la prise de risque due à l’absence de dis­cours évi­dent et au choix de don­ner la parole à des per­son­nes de part et d’autre de la fron­tière, doit être nuancée car la cinéaste con­serve un con­trôle sur la présen­ta­tion de l’autre par le biais de la façon de filmer les sujets ain­si que par l’organisation des images et des sons lors du mon­tage. La con­struc­tion filmique de De l’autre côté repro­duit le par­cours des Mex­i­cains qui ten­tent d’atteindre les États-Unis : le doc­u­men­taire débute donc au Mex­ique, s’attache à la descrip­tion de la zone frontal­ière (fig. 4) et se ter­mine aux États-Unis. La cinéaste se place ain­si du côté des per­son­nes rejetées et pro­pose par là même ce point de vue aux spectateurs.

Cepen­dant, cette prise de posi­tion n’est ni directe, ni explicite puisqu’elle passe par la con­struc­tion filmique et non pas par une prise de parole. Elle est per­cep­ti­ble plus sub­tile­ment dans les pas­sages con­sacrés aux inter­views. En effet, si tous les témoignages alter­nent avec de longs plans-séquences descrip­tifs, en revanche, les modal­ités de fil­mage des témoins aux États-Unis et au Mex­ique dif­fèrent et trahissent la dénon­ci­a­tion de la sit­u­a­tion par Chan­tal Aker­man à tra­vers son doc­u­men­taire. Les Mex­i­cains sont longue­ment filmés et cadrés en plan moyen afin de respecter l’intimité de leurs corps et de con­serv­er l’intégrité morale de leur parole (fig. 5). En accord avec la phrase d’Emmanuel Lév­inas volon­tiers citée par la cinéaste : « Quand on voit le vis­age de l’autre, on entend déjà le mot : “Tu ne tueras point[31] », les longs plans-séquences fix­es sur les vis­ages s’accompagnent d’une forte con­science de l’autre en tant qu’être au monde, d’une écoute visuelle dou­blée de l’écoute audi­tive lorsque les per­son­nes s’expriment orale­ment. Or, aux États-Unis, Chan­tal Aker­man fait une entorse à son habi­tude de cadr­er frontale­ment [32]. Cela est le cas lorsque l’image d’un ranch­er améri­cain accom­pa­gne les pro­pos de sa femme ou encore lorsqu’un pro­prié­taire de café reste hors champ au moment où il prend la parole. Ces deux Améri­cains sont privés de la sym­pa­thie qu’implique le face-à-face avec les spec­ta­teurs par l’intermédiaire de l’image. Néan­moins, cette prise de par­ti est atténuée, comme il a été vu, par la mise en évi­dence du car­ac­tère uni­versel de la situation.

Au regard de ces deux exem­ples, il est pos­si­ble de con­stater que l’empathie de Chan­tal Aker­man vis-à-vis des Mex­i­cains est finale­ment inté­grée à la con­struc­tion filmique non seule­ment à tra­vers le déroule­ment tem­porel du film qui suit le par­cours des clan­des­tins mais aus­si à l’aide des modal­ités de fil­mage des témoins. Alors que Jean Rouch, pour cer­tains de ses films [33], « s’attribuait […] un rôle de meneur de jeu, de met­teur en scène-réc­i­tant [34] », au moyen de com­men­taires en voix off, Chan­tal Aker­man préfère la dis­cré­tion et le retrait relatif en inter­venant unique­ment au niveau du fil­mage ain­si qu’à celui du mon­tage. Le par­ti pris mod­éré de la cinéaste transparaît égale­ment dans ses pro­pos con­cer­nant sa démarche doc­u­men­taire. Elle rap­porte que les Mex­i­cains n’ont pas eu de dif­fi­cultés à se con­fi­er car beau­coup doivent faire le deuil d’un proche. C’est pourquoi la cinéaste avait envis­agé de faire un doc­u­men­taire unique­ment avec ces témoignages [35]. Cette remar­que donne à Chan­tal Aker­man le rôle de con­fi­dente mais égale­ment celui de relay­er la parole. En cela, l’éthique doc­u­men­taire de la cinéaste s’apparente à la démarche ethno­graphique de Jean Rouch. La caméra de Chan­tal Aker­man doit relever les réal­ités divers­es et con­tra­dic­toires qu’implique la fron­tière entre le Mex­ique et les États-Unis. Elle doit aus­si être capa­ble de porter la parole des vic­times de cette situation.

Extrait de Can­ton la Chi­noise, par Robert Cahen et Rob Rom­bout, 2001

Film comme espace de rencontre

Si la con­struc­tion filmique de Can­ton La Chi­noise souligne les rôles respec­tifs des per­son­nes filmées et des réal­isa­teurs au sein de la pro­duc­tion d’informations et de sig­ni­fi­ca­tions, elle désigne aus­si en creux l’existence d’un pub­lic à qui est des­tiné le doc­u­men­taire. Par exem­ple, lorsque la voix off claire et dis­tincte d’un des cinq pro­tag­o­nistes s’ajoute à l’espace sonore ambiant des images, elle sem­ble s’adresser aux spec­ta­teurs et se rap­proche ain­si de l’espace de dif­fu­sion. Elle agit donc comme un moyen de créer un con­tact virtuel entre Can­ton et les spec­ta­teurs. La volon­té des réal­isa­teurs est de situer les spec­ta­teurs au plus proche des pen­sées intimes de la per­son­ne qui par­le en voix off. Dans une même logique, les voix off, qui sont lit­térale­ment plaquées sur les images d’un autre moment, per­dent leur inter­locu­teur d’origine (les réal­isa­teurs). Elles ouvrent alors un espace vacant qui tend à être comblé par les spec­ta­teurs enclins à inve­stir la place de l’interlocuteur volon­taire­ment délogé.

Les doc­u­men­taires de Chan­tal Aker­man opèrent égale­ment un rap­proche­ment entre l’ailleurs filmé et l’ici du vision­nage. La con­struc­tion filmique vise à inscrire les témoignages du drame et leurs par­tic­u­lar­ités dans les mémoires con­scientes des spec­ta­teurs par le biais de la caméra qui les réac­tu­alise, les fait vivre. Dans cette optique, le film sem­ble pren­dre le relais de la tra­di­tion orale ici étouf­fée, blessée par l’horreur. Pour ce faire, Chan­tal Aker­man souhaite aller plus loin que la sim­ple infor­ma­tion en faisant ressen­tir les réal­ités filmées notam­ment au moyen de plans-séquences aux très longues durées qui lais­sent pass­er la durée dans l’intériorité des spec­ta­teurs. Par exem­ple, dans Sud, la route sur laque­lle James Byrd J.-R. a été traîné au sol sur des kilo­mètres accroché à l’arrière d’une voiture est longue­ment par­cou­rue par la caméra. L’un des trav­el­lings arrière qui par­court cette route est situé à la toute fin du film. Ce plan-séquence d’environ huit min­utes doit per­me­t­tre aux spec­ta­teurs d’endurer, voire d’éprouver, la douleur et l’atrocité du crime. Pour son tra­vail de mon­tage en général, Chan­tal Aker­man explique les effets de ses longs plans-séquences :

Il y a besoin de con­tem­pla­tion. Il y a aus­si besoin de vivre… Par­fois je pousse les choses jusqu’à ce que ce soit éner­vant. Jusqu’à la lim­ite […] Jusqu’à ce que ce ne soit plus sup­port­able. Cer­tains plans ont besoin de devenir insup­port­a­bles pour pass­er à un autre. Ça dépend de quel type de plan [36].

Or, dans Sud, le long plan-séquence de fin n’est pas suivi par un autre. Il résonne directe­ment avec la réal­ité que les spec­ta­teurs retrou­vent lorsque les lumières s’allument dans la salle de pro­jec­tion. Chan­tal Aker­man tente ain­si de dépass­er la visée infor­ma­tion­nelle des doc­u­men­taires en se tour­nant vers une trans­mis­sion qui lie les per­son­nes filmées aux spec­ta­teurs non pas seule­ment au moyen de l’intellect ou de la morale mais aus­si au moyen de l’émotionnel, de l’affect qua­si physique. Dans ce con­texte de récep­tion, les témoignages dans les doc­u­men­taires de Chan­tal Aker­man enga­gent le car­ac­tère tran­si­tif de ce type de dis­cours, car­ac­tère tran­si­tif relevé par Arnaud Lam­bert dans les films de Chris Mark­er, et notam­ment dans ceux réal­isés à par­tir des années 80. L’auteur écrit : « Le témoignage est un dis­cours tran­si­tif (le témoin prend à témoin). De fait, le témoignage tra­verse l’écran (le film, l’auteur) et se répand comme un cri [37]. »

« Pour Robert Cahen et Rob Rom­bout, il s’agit d’assumer leur posi­tion étrangère à la sit­u­a­tion décrite au moyen de la mise en évi­dence de la con­struc­tion filmique qui per­met aux spec­ta­teurs de pren­dre la mesure du décalage exis­tant entre le film et le réel. »

Certes, le rôle de médi­a­teur habituelle­ment attribué au doc­u­men­tariste est main­tenu dans les deux démarch­es. Cepen­dant, pour Chan­tal Aker­man, l’apparente absence de juge­ment dans le relai de la parole, qui per­met de stim­uler les réflex­ions pro­pres à cha­cun des spec­ta­teurs, s’associe para­doxale­ment à un engage­ment qui s’affirme alors comme étant une don­née incon­tourn­able dans la pra­tique doc­u­men­taire de la cinéaste. Dif­férem­ment pour Robert Cahen et Rob Rom­bout, il s’agit d’assumer leur posi­tion étrangère à la sit­u­a­tion décrite au moyen de la mise en évi­dence de la con­struc­tion filmique qui per­met aux spec­ta­teurs de pren­dre la mesure du décalage exis­tant entre le film et le réel. Par­al­lèle­ment, l’association des cinq points de vue des « passeurs du film » et de celui des réal­isa­teurs au sein d’une unité filmique favorise une récep­tion active, esthé­tique et raison­née des images et des sons venus de Canton.

  • 1. 
    Niney F., Le Doc­u­men­taire et ses faux-sem­blants, Paris, Klinck­sieck, 2009, p. 19. 
  • 2. 
    Ibid., p. 42.
  • 3. 
    Jean Lau­zon explique à ce pro­pos que « le car­ac­tère indi­ci­aire du procédé pho­tographique [implique] qu’entre le mod­èle et son image existe néces­saire­ment une rela­tion de con­tiguïté physique. Il en résulte une com­préhen­sion tau­tologique du signe pho­tographique sug­gérant une iden­ti­fi­ca­tion signifiant/signifié ». Lau­zon J., « Notes sur l’indice à l’index : con­tri­bu­tion au “pho­tographique” de Ros­alind Krauss », Hori­zons philosophiques, vol. 9, no 1, 1998, p. 73.
  • 4. 
    Née en 1950 à Brux­elles, Chan­tal Aker­man vit et tra­vaille à Paris.
  • 5. 

    Né en 1945 à Valence, Robert Cahen vit et tra­vaille entre Paris et Mulhouse.

  • 6. 

    Né en 1953 à Ams­ter­dam, Rob Rom­bout vit et tra­vaille à Bruxelles.

  • 7. 

    Ter­mes de Chan­tal Aker­man. Voir par exem­ple Bégh­in C., « Chan­tal Aker­man, soli­taire et chan­tante », pro­gramme avril-juin, Paris, Cen­tre Pom­pi­dou, 2004, p. 16. Autre cita­tion qui exprime cette idée : « je me laisse con­duire, je dirais presque à l’aveuglette, et je deviens une sorte “d’éponge – plaque sen­si­ble” qui aurait une écoute flot­tante et d’où sur­nagerait ou se révélerait au bout d’un long moment, le film ». Aker­man C., De l’autre côté, Sud, D’Est. 3 films de Chan­tal Aker­man, Paris, Shel­lac, [2003], p. 18.

  • 8. 

    Cela est le cas de Je, tu, il, elle (1975), Les ren­dez-vous d’Anna (1978), Nuit et jour (1991), La cap­tive (1999) par exemple.

  • 9. 

    Sud, 1999, 35 mm, coul./son, 70 min. Réal­i­sa­tion : Chan­tal Aker­man. Pro­duc­tion AMIP (Audio­vi­suel Mul­ti­mé­dia Inter­na­tion­al Pro­duc­tions), Paris ; Par­adise Films, Brux­elles ; Chemah I. S., Paris.

  • 10. 

    De l’autre côté, 2002, 35 mm, coul./son, 102 min. Réal­i­sa­tion : Chan­tal Aker­man. Pro­duc­tion : AMIP, Paris ; Arte France, Issy-les-Moulin­eaux ; Par­adise Films, Brux­elles ; Chemah I.S., Paris.

  • 11. 

    Pro­pos recueil­lis par José Vieria Mar­ques pub­liés dans le Press Book de Jeanne Diel­man réal­isé à l’occasion du Fes­ti­val da Figueira da Foz, Berlin, juil­let, 1975 ; cité dans Mar­gulies I., Noth­ing Hap­pens. Chan­tal Akerman’s Hyper­re­al­ist Every­day, Durham, Lon­don, Duke Uni­ver­si­ty Press, 1996, p. 42.

  • 12. 

    Aker­man C., De l’autre côté, Sud, D’Est. 3 films de Chan­tal Aker­man, op. cit., p. 14.

  • 13. 

    Devanne L., « Entre­tien avec Chan­tal Aker­man », Désaxés, [émis­sion radio­phonique], Radio Lib­er­taire, 8 juin 2003.

  • 14. 

    Can­ton la Chi­noise, 2001, vidéo (camés­cope DVR 900), coul./son, 52 min. Réal­i­sa­tion, image, con­cep­tion sonore et scé­nario Robert Cahen et Rob Rom­bout. Pro­duc­tion : Les Films de l’Observatoire (Philippe Avril), Schiltigheim, en col­lab­o­ra­tion avec Boule­vard des Pro­duc­tions, Stras­bourg ; CICV-Pierre Scha­ef­fer, Mont­béliard ; Lamy Films, Braine‑L’Alleud ; Image Plus, Brux­elles ; RTBF (télévi­sion belge), Bruxelles.

  • 15. 

    Lar­roque T., « Entre­tien avec Rob Rom­bout », non pub­lié, mars 2008.

  • 16. 

    Syn­op­sis du film mis en ligne sur le site Inter­net de Rob Rom­bout : www.robrombout.com.

  • 17. 

    Piault C., « Parole inter­dite, parole sous con­trôle », René Pré­dal (dir.), Ciné­mAc­tion (revue de ciné­ma et de télévi­sion), « Jean Rouch ou le ciné-plaisir », no 81, Cor­let-Téléra­ma, sep­tem­bre 1996, p. 140. Dans cet arti­cle, Colette Piault ajoute que la parole peut rapi­de­ment devenir « un instru­ment de pouvoir ».

  • 18. 

    Caméra Éclair et mag­né­to­phone Nagra.

  • 19. 

    Lorsque les per­son­nes filmées ne s’expriment pas en français mais en dialectes song­hay, dogon ou bam­baras, le cinéaste ethno­graphe prend le rôle d’interprète. Lorsqu’ils par­lent français, la parole leur est donnée.

  • 20. 

    Piault C., « Parole inter­dite, parole sous con­trôle », art. cité, p. 148 à 160.

  • 21. 

    Metz C., Essais sur la sig­ni­fi­ca­tion au ciné­ma, (t. 1 [1968] et t. 2 [1972]), Paris, Klinck­sieck, 2003, p. 194.

  • 22. 

    Metz C., loc. cit.

  • 23. 

    Lar­roque T., op. cit.

  • 24. 

    Bresc­hand J., Le Doc­u­men­taire. L’autre face du ciné­ma, Paris, Cahiers du ciné­ma, Scérén-CNDP, 2002, p. 28–29.

  • 25. 

    Andrey Osipov est un réal­isa­teur présent au fes­ti­val de ciné­ma qui s’est tenu dans la ville russe de Perm.

  • 26. 

    En sémi­o­tique, la nar­ra­tion ren­voie à « un événe­ment, non toute­fois celui que l’on racon­te mais celui qui con­siste en ce que quelqu’un racon­te quelque chose. L’acte de nar­rer pris en lui-même ». Il s’agit donc de « l’acte nar­ratif pro­duc­teur et, par exten­sion, l’ensemble de la sit­u­a­tion réelle ou fic­tive dans laque­lle il prend place ». À ce pro­pos voir Genette G., Fig­ures III, Paris, Le Seuil, 1972, p. 71–72.

  • 27. 

    Aker­man C., De l’autre côté, Sud, D’Est. 3 films de Chan­tal Aker­man, op. cit., p. 19.

  • 28. 

    Baudry P., « Ter­rains et ter­ri­toires », Ciné­ma doc­u­men­taire, ciné­ma de fic­tion. Fron­tières et pas­sages, La Licorne, no 24, 1992, p. 12.

  • 29. 

    Ran­cière J., La Fable ciné­matographique, Paris, Le Seuil, 2001, p. 202–203.

  • 30. 

    Devanne L., op. cit.

  • 31. 

    Aker­man C., Chan­tal Aker­man. Auto­por­trait en cinéaste, Paris, Cahiers du Ciné­ma, Cen­tre Georges Pom­pi­dou, 2004, p. 29.

  • 32. 

    Cyril Bégh­in écrit à ce pro­pos : « De la con­science que la parole de l’autre est dou­blée de l’écoute d’une sorte de com­man­de­ment muet et impétueux émis par son image vient la règle rarement trahie, chez Aker­man, selon laque­lle on voit tou­jours celui qui par­le. » Bégh­in C., « Chan­tal Aker­man, soli­taire et chan­tante », art. cité, p. 16.

  • 33. 

    Dans les films Moi un noir (1958) ou Maîtres fous (1954) par exemple.

  • 34. 

    Piault C., « Parole inter­dite, parole sous con­trôle », art. cité, p. 144.

  • 35. 

    Devanne L., Désaxés, [émis­sion radio­phonique], op. cit.

  • 36. 

    Devanne L., loc. cit.

  • 37. 

    Lam­bert A., Also Known as Chris Mark­er, Cher­bourg, Le Point du jour, 2008, p. 155. Arnaud Lam­bert com­mente encore : « Le témoin qui décrit et partage son expéri­ence s’adresse à nous. C’est ce qui rend sa présence intim­i­dante – acca­blante : vis­age ou regard qui témoigne, mais aus­si qui questionne. »

Extrait de Can­ton la Chi­noise, par Robert Cahen et Rob Rom­bout, 2001