À pro­pos d’« Ams­ter­dam Sto­ries USA ».
Un film de Rob Rom­bout
et de Rogi­er van Eck

par Car­o­line Lamarche

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Ams­ter­dam Sto­ries USA, ce sont d’abord des his­toires. Et les femmes et les hommes qui les racon­tent. Des vis­ages s’ouvrent puis se taisent et la voix pour­suit à l’intérieur de nous, portée par la tran­quil­lité du regard. On ne con­naî­tra pas leur mai­son, leur jardin, leurs enfants, leur méti­er, ou si peu. Une grav­ité soudaine, un signe de la main, une sil­hou­ette qui devient floue.

C’est la route. La route qui s’ouvre dès que l’on quitte ces gens. Le paysage qui se reflète sur le pare­brise, l’horizon qui court, somptueux et monot­o­ne, sur des mil­liers de kilo­mètres, et l’on sent ces mil­liers, par le dia­logue embry­on­naire des deux pas­sagers, leur expres­sion ten­due et pais­i­ble à la fois. Ils savent où ils vont, ils ne savent pas qui sera là.

C’est Ams­ter­dam. Ce sont quinze Ams­ter­dam. De l’Est au Sud au Nord à l’Ouest. Quinze pan­neaux aux let­tres blanch­es sur fond vert, quinze patelins per­dus, d’une seule ou de deux cent cinquante âmes, rarement plus, et c’est peut-être la même chose, une ou deux cent cinquante, car il est tou­jours ques­tion d’âme, vieux mot que ne désavoue pas ce pays que l’on dit neuf.

L’âme comme un château de nuages, comme la lumière qui roule sur d’immenses prairies où gam­badent des enfants, sur la neige foulée par une jeune fille qui ne renonce pas à ses rêves. Ou comme une larme sur la joue d’une femme écla­tante, un air de corne­muse joué dans un cimetière, le souf­fle d’un train sur une gare fan­tôme. L’âme comme les yeux de celles et ceux qui ont ouvert leur porte à deux voyageurs venus d’une Europe un peu ras­sise, un peu myope et qui n’aime pas tou­jours les Améri­cains.

Extract of Ams­ter­dam Sto­ries USA, by Rob Rom­bout and Roger van Eck, 2013

Rob Rom­bout et Rogi­er van Eck instal­lent le tri­an­gle amoureux de la ren­con­tre dont le troisième est l’Autre, loin­tain et proche, l’habitant d’une Ams­ter­dam au nom qui sig­ni­fie : je suis un morceau d’Amérique. Dont le troisième est aus­si, par trans­fu­sion du regard, le spec­ta­teur. Vous, moi, qui nous lais­sons approcher par ces vis­ages offerts, qui enten­dons ces voix, ces con­fi­dences dont l’émotion est d’une qual­ité que l’on a un peu per­due chez nous : pré­cise, ferme, qui illu­mine plus qu’elle ne boule­verse. Ou si elle le fait, c’est comme l’arbre bouge sous le vent, comme le fleuve coule, la neige crisse, la fleur pousse sur une tombe oubliée.

Nous sommes ces morceaux d’Amérique qui nous révè­lent à nous-mêmes. Nous sommes ce pays où cha­cun est seul et per­du et relié et sol­idaire. Nous pénétrons, avec ce patient road-movie, dans un con­ti­nent encore incon­nu. Fam­i­li­er cepen­dant. Nous retrou­vons une famille que jusque là nous pein­ions à recon­naître, harassés que nous sommes par l’urbain, le clin­quant, la vitesse. Nous sommes le réc­it en marche. Et nous aimons cette façon, antique et neuve, de racon­ter des his­toires. Cet usage du monde qui se révèle, ici, usage du Nou­veau Monde.

Extract of Ams­ter­dam Sto­ries USA, by Rob Rom­bout and Roger van Eck, 2013